Conférence de Patricia Le Coat Kreissig – Rennes – 14 février 2020

Alors d’abord un mot sur Saint Valentin puisque nous avons choisi ensemble Saint Valentin, voilà, On fête Saint-Valentin d’habitude, mais est-ce qu‘on sait ce qu’on fête ? … Évidemment j’ai cherché et, à ma grande surprise je crois que personne ne sait vraiment ce qu’on fête, parce qu’il y a des définitions très nombreuses. Je vais vous en dire trois mais vous en trouverez d’autres.

D’abord le personnage de Saint-Valentin. Donc c’est un prêtre, du 3è siècle et qui, selon l’histoire, aurait donc eu l’audace, parce qu’il s’agit bien de ça, de marier des soldats romains secrètement, alors qu’évidemment, il y avait l’interdiction souveraine. Donc les histoires d’amour on le sait, ne finissent pas toutes toujours si bien. Et donc finalement en prison Saint-Valentin va tomber amoureux de la femme qui faisait office de geôlier, et lui écrivit une lettre d’amour qui est signée Valentin, un 14 février, le jour de sa décapitation. Ah ben oui, ça finit pas toujours bien. Ça c’est une première version.

Il y a une autre version qui est une histoire romaine antique. C’est la date de la fête des Lupercales. Les Lupercales, c’est une festivité païenne qui a comme but la purification des femmes en attente d’une plus grande fertilité. La coutume voulait donc qu’on sacrifie un bouc au dieu de la grotte du Lupercale qui est la grotte, selon la légende, où la louve avait allaité Romulus et Rémus, les fondateurs de Rome. Alors ce sacrifice était accompagné des rites dans lesquels on trempait des lanières de cuir bien sûr, dans le sang de la bête morte et on les projetait sur les femmes afin que la fécondité soit améliorée.

Dernière version, très sympathique, c’est que, Saint-Valentin, c’est la journée des amoureux parce que les oiseaux sont amoureux le 14 février. Ils chantent, ils se laissent entendre dès le 14 février – ce qui n’est pas vrai parce que cette année c’était plus tôt.

Quand Philippe m’a demandé un titre – ça se passe toujours comme ça, subitement, trois ou quatre mois avant on vous demande un titre et quelques arguments, évidemment, on ne sait pas ce qu’on va dire et encore moins comment on va appeler l’affaire- du coup, moi je lisais, c’est environ 800 pages, « Belle du Seigneur ». Je lui ai dit : « La marche triomphale de l’amour. »

Albert Cohen a 73 ans quand il publie Belle du Seigneur, je ne sais pas si vous l’avez lu, c’est vraiment énorme… C’est une très belle écriture qu’il dédie à sa troisième épouse, Bella Berkowich, en 68. Or, 68 évidemment, c’est l’année où s’annonce la libération de la femme. Mais Ariane, qui est l’héroïne du roman, moniale de son Seigneur, elle accepte d’être soumise. Et soumise, elle est heureuse de l’homme qui l’a élue, Solal.

Donc ce roman, dès qu’il est sorti a été couronné du grand prix du roman de l’Académie française et qualifié de chef d’œuvre absolu par Joseph Kessel. Kessel est l’auteur de « Belle de jour » que vous connaissez parce que c’est un magnifique film avec Catherine Deneuve, toute magnifique ! Alors Belle du Seigneur n’en est pas très loin, c’est différent. Mais c’est donc un livre qui a été filmé aussi et qui a rencontré un succès inattendu comme livre, pas comme film. Il figure encore aujourd’hui parmi les meilleures ventes de la collection Blanche chez Gallimard et c’est un des livres les plus offerts toujours aujourd’hui pour la Saint-Valentin. Ça tombait bien !

 Mais c’est quand même une histoire assez terrible qui porte sur l’amour et sur la question de l’identité, dans une période sensible : 1937. C’est une ambiance qui est évidemment marquée par l’arrivée du national-socialisme dont la devise sera : « faire UN, être unis tous ensemble ».

Le héros du roman, Solal, vise exactement ce UN. Mais il le vise à deux, avec Ariane. Faire Un avec elle, unis pour et contre tout dans cet amour. Il jette son passeport français et va errer en tant que juif, ennemi du peuple mais comme ex-président de la Société Des Nations. Donc c’était quand même un personnage ! Je vais vous lire, en guise d’introduction justement, le petit passage qui m’a fait choisir le titre :

« Marche triomphale de l’amour, ô ce soir, ô le sacre et le pouvoir béni sur elle, et le cher visage penché, et les trêves qui laissent les lèvres se rejoindre, et enfin la joie et les sanglots d’elle. Sa femme, elle était sa femme et elle vénérait, sa femme, sa religieuse, sa servante et desservante, comblée de lui donner sa profondeur et qu’il fut en elle, heureux en elle extasiée du bonheur de l’aimé en elle, moniale de son seigneur »

En dehors de la belle écriture, vous entendez comment amour et désir habitent un champ commun unique. Et pourtant, on le sait bien, ils opèrent de manière distincte l’un et l’autre. Il y a la passion, il y a la jalousie, il y a la possession dans cette histoire. Et la cohabitation de l’ensemble de ces affects et de ces émergences, eh bien elle reste énigmatique.

Mais il est certain et on va s’intéresser à cette question-là, qu’il y a un objet commun qui anime la scène. Objet obscur, objet insaisissable, mais objet commun. Et comment et de quelle manière cet objet d’amour ou objet du désir va-t-il intervenir sur ces petites existences, sur notre petite existence ? Cette cohabitation est énigmatique, animée par un objet commun obscur et insaisissable. Comment, de quelle manière cet objet d’amour, cet objet du désir va-t-il influencer notre « petite existence » ? « Belle du seigneur » est classé dans la catégorie des romans d’amour, mais aussi dans la catégorie des drames car mort et jouissance y sont noués par un amour pervers. Mine de rien, c’est le style d’amour comme il y en a beaucoup et toujours eu.

Ce genre d’amour où il y a l’un qui est dans la dominance et l’autre qui est dans un amour assez masochiste. Voilà donc, animé par ce grand texte, texte sur l’amour, je vous invite à réfléchir sur l’amour et particulièrement sur l’amour d’un point de vue analytique, avec Freud, avec Lacan, réflexions toujours d’actualité.

L’amour, voilà, on peut dire que c’est quand même le centre de beaucoup d’intérêts, ce mot si chantant en tous cas en français. Un mot qui en allemand se dit die Liebe, c’est beaucoup moins chantant. En anglais, the love. Gardons : l’amour, un mot donc chantant que nous appelons, nous, un signifiant, c’est comme ça que l’on traite le mot. Un signifiant, qui nous anime pas seulement l’un ou l’autre, mais qui anime toutes nos sociétés toutes entières, et particulièrement aujourd’hui à notre époque. Pourtant, c’est une époque dont nous entendons dire qu’elle serait plutôt désexualisée. Une époque qui est marquée, c’est sûr, par l’amour des machines.

Il y a le fameux film « Her » de Spike Jonze, vous l’avez peut-être vu… Et la question est aussi, est-ce que notre attente face à l’amour aujourd’hui, n’est pas en train de changer ? Ça ne veut pas dire qu’on n’y trouve plus des rencontres sexuelles, bien évidemment, grâce aux moyens modernes de communication, il y a bien des couples qui se forment. Mais il y a des couples qui se forment de manière éphémère. Il y a des partenaires qui se trouvent confrontés à un questionnement nouveau quant à l’amour, et quant à l’investissement d’une relation côté amoureux, à des limites de ce qu’ils peuvent investir dans ces questions-là. Et aux effets qu’ils attendent ou qu’ils reçoivent.

Certains parmi nous ont été récemment présents lors du séminaire d’hiver de notre association, à Paris, et là, un de nos collègues, Claude Landman, disait : « On est tous nés après ». On est tous nés après, évidemment tout le monde a entendu tout de suite : après une rencontre intime de nos parents. Tous donc des êtres du désir. Parfois même de l’amour. Alors, certes ça vaut un petit peu d’optimisme pour le temps du passé, on va le dire comme ça, la question c’est : Est-ce-que aujourd’hui on fait encore l’amour ?

Qu’est-ce que ça veut dire ? Il est certain qu’on se rencontre, on s’aime un peu, beaucoup, éperdument même pendant un temps, puis enfin on commence à s’éviter afin de ne pas être trop confronté à toutes ces contrariétés … je veux dire ces impossibles vies des couples … qui ne correspondent jamais longtemps à nos attentes d’adoration, de comblement, à notre désir de faire Un, Un pour toujours. Ah mais évidemment, nous ne sommes quand même pas dupes, cet impossible nous le trouvons dans cette fameuse formule : « il n’y a pas de rapport sexuel ! ».  Autrement dit, ça nous emmène à savoir faire avec cette espèce de désaccord, ce manque qui affecte…les couples. Et qui instaure le doute quant au bon – est-ce que c’est le bon partenaire ? – à l’unique, au Un … Évidemment aujourd’hui, dans les sites, si ce n’est pas ça, c’est ça. Enfin, bon. Est-ce qu’on trouve le Un celui où on n’aurait pas ce genre de désaccord je dirais structurel.

 Alors, « L’amour est un caillou riant dans le soleil » ça vous dit quelque chose ça ? « L’amour est un caillou riant dans le soleil ». Pas brillant, riant. C’est une drôle de phrase, hein ? Où est ce que j’ai péché ça ? Personne ne sait où j’ai péché ça ? Chez Lacan. Chez Lacan dans Les psychoses.

Alors, pourquoi rit-il ? Il se moque peut-être ? C’est effectivement dans Les psychoses où Lacan aborde de cette manière l’amour. Il dit très vite qu’il pourrait en dire beaucoup, mais il le fait pas. Parce qu’il dit qu’en fait il introduit comme ça la métaphore : un caillou. Mais un caillou je me disais, c’est quand même un obstacle n’est-ce pas ? Ou bien c’est une surprise qui rit ? Donc elle se réjouit, j’essaye. Elle se réjouit.

Paul Bothorel : Tu sais qu’on dit aussi un caillou, c’est aussi un gros diamant.

Patricia Le Coat Kreissig : Ah ! Mais pas dans la chaussure. Un caillou. Un obstacle, une surprise qui reflète … se réjouit de la lumière … venue d’ailleurs. D’ailleurs, d’un lieu, d’un champ Autre, que nous appelons d’un commun accord, symbolique. L’amour concernerait donc non seulement un lieu mais aussi un objet venant d’ailleurs et se réjouissant des effets du langage.

« Ah, ça je l’aime ! » Rarement les mots « je t’aime » ont été prononcés autant qu’à notre époque. C’est au nom de l’amour et non au Nom du père que les couples se construisent aujourd’hui, accompagnés avec ces mots d’amour qui rassemblent mais qui divisent aussi. Notre soif d’amour, ça c’est sûr, semblerait bien inassouvissable, sans aucun doute il exerce sous différentes formes une authentique emprise sur le sujet qui en est affecté. Alors sommes-nous tous foncièrement masochistes ? Autrement dit, l’amour relève-t-il d’une forme de perversion, c’est une authentique question et que je vais reprendre. Une perversion somme toute bien évidemment plutôt commune, et qui compterait donc d’abord un pervers et, permettez-moi de le dire ainsi, un « perversant » parce que consentant à cette action amoureuse.

Est-ce que les places sont interchangeables ?

Et finalement, l’amour est-il, comme le dit Lacan, toujours réciproque ?

C’est pas évident. Sans aucun doute, nous sommes addicts, toxicomanes à l’amour, toujours en demande…et pourtant nous savons que ça peut finir mal.

Cela ne va pas tarder, nous pouvons certainement trouver un ouvrage moderne qui se voudra guidant, un mode d’emploi, un manuel de l’amour. S’il n’est pas encore écrit il faut l’écrire : L’amour pour les nuls.

Alors, plus sérieusement, la langue grecque ancienne distingue quatre types d’amours différents :

Agapè : qui inclut l’amour universel, inconditionnel, divin. Vous savez très bien que l’agapanthe c’est cette jolie fleur, c’est la fleur de l’amour pour les grecs. C’est un amour divin. Et les agapes c’est aussi le repas divin, c’est là qu’on s’unit autour d’une cause commune. Donc un amour inconditionnel. 

Puis vous avez évidemment Eros : en lien avec le plaisir charnel, la concupiscence.

Et encore Storgê : véhicule l’amour en famille, l’amour bienveillant et tendre.

Et puis Philia : l’amitié, la bienveillant aussi, la politesse.

À partir d’une telle considération on voit bien qu’il n’y a pas un seul et unique modèle, une seule forme d’amour mais il y a des amours et une multitude de couleurs différentes d’amours, nos amours. Cela troue le concept …

Chez Freud quand même – bien sûr vous savez que je vais passer chez Lacan comme ça – mais chez Freud la question de l’amour parcourt de différentes manières l’ensemble de ses travaux. Au moment de l’élaboration de sa seconde topique, en 1920, où il passe de la métapsychologie à l’au-delà du principe du plaisir, en 1921, Freud se positionne. J’ai toujours le plaisir de le traduire moi-même et je vous propose donc ma traduction :

Le noyau de ce que nous appelons amour est constitué par ce que nous nommons ainsi de manière plus générale l’amour … l’amour génital qui vise l’union sexuelle ; nous n’en séparons pourtant pas tout ce qui contribue autrement à ce que nous nommons amour, d’un côté l’amour narcissique, de l’autre l’amour qui circule entre les parents et leurs enfants, l’amitié et l’amour altruiste ainsi que le dévouement pour des causes concrètes et idées abstraites »

Vous voyez que Freud reprend la distinction grecque des amours et au fil du temps, en dehors de l’amour dit génital, il décrit deux grandes manifestations amoureuses : l’amour narcissique – que la Grèce antique semblerait ignorer malgré son attirance pour la beauté des corps – et l’amour par étayage d’un autre, c’est-à-dire l’amour qui s’installe quand, coté homme, il aime la femme pour ce qu’elle lui apporte : la nourriture et le soin, et coté femme, elle aime l’homme qui la protège.

C’est cela que Freud observe et qu’il nomme amour par étayage, ce qui sans aucun doute est un reflet de l’amour idéal des parents à l’égard de leur enfant.

 Quant à l’amour narcissique, il se constitue du reflet de l’image du moi dans l’autre semblable et le retour de cette image de l’autre sur l’apparente présentation du moi. Un amour qui unit notre Moi Idéal, c’est-à-dire l’objet aimé, à notre Idéal du moi, l’aimable.

 Dans son séminaire que vous étudiez cette année à Rennes, le transfert, Lacan se passionne d’un tableau de Jacopo del Zucca, dit Zucchi : «Psyché surprend Amore».

Éros Amor, voilà. L’histoire vous la trouvez dans les métamorphoses, chez Apulée livre 5. Psyché vit donc en exil et dans le recel de son amant dont elle ignore l’identité. Puis elle est convaincue par ses sœurs jalouses que son époux est un monstre. Psyché décide alors de le poignarder. Le texte d’Apulée dit – et c’est exactement, exactement l’image du tableau de Zucchi :

« Aussitôt que la lumière a éclairé le secret du lit, Psyché voit le plus aimable et le plus doux de tous les monstres. Cupidon en personne, le dieu charmant endormi dans la plus charmante attitude. Même la flamme de la lampe se dilate (comme une pupille, le regard) d’aise à ce spectacle, le couteau maudit sa pointe sacrilège ….

Au pied du lit gisaient l’arc, le carquois et les flèches, insignes du plus puissant des dieux. Psyché ne se lasse pas de voir, de toucher, d’admirer, les redoutables armes de son époux. Elle tire une flèche du carquois et pour en essayer la pointe, elle l’appuie sur son pouce ; mais sa main tremble et Psyché se pique. Quelques gouttelettes d’un sang rose perlent sur sa peau. Ainsi, sans s’en douter Psyché se rend elle-même amoureuse de l’Amour…. »

Ça, c‘est le texte. Et dans ce tableau de Zucchi, Psyché, vous voyez Psyché, armée avec cette lame tranchante et vous voyez que son regard vise ce bouquet de fleurs et ce qui est caché derrière ce magnifique bouquet de fleurs.

Alors l’énigme de ce tableau c’est bien évidemment le champ qui couvre le bouquet de fleurs et ce regard. Qu’est-ce qui est caché derrière le bouquet, si ce n’est pas le pur reflet du désir ? Un désir qui est Autre c’est-à-dire qui nous affecte à partir d’un lieu Autre, énigmatique. Car il représente à la fois le vide et la plénitude. Or, comme vous le savez, nous sommes des habitués de la topologie, du questionnement des lieux, des espaces et de leur dynamisme, des dimensions, des intrications et des propriétés des espaces.

Et à partir de cette belle œuvre d’art, je propose de passer à une bande de Moebius, beaucoup moins belle.

Intervenant : C’est moins sexy !

Patricia Le Coat Kreissig : C’est moins sexy, oui. Qu’est-ce qui s’y cache ? C’est avec le paradoxe de la bande de Moebius qu’on va reprendre cette question de ce qui s’y cache et où est-ce que ça se cache. J’avais fait une bande mais je l’ai oubliée…

Quand vous avez quelque chose qui marche sur la bande, vous allez voir que ce qui marche dedans va très rapidement disparaître et être dehors et de nouveau dedans. C’est-à-dire, vous avez toujours sur cette bande une absence-présence sans que le bord soit franchi d’un passage à l’autre. Et donc, c’est cette question-là, présent-absent, c’est-à-dire d’un côté un objet positivé car présent, phallique, on l’appelle comme ça nous, et puis de l’autre absent. Et on est là à l’attendre, à se dire mais il était là, c’est sûr qu’il était là, c’est-à-dire cause du désir. Où est-ce qu’il est donc ? Voilà qu’on l’appelle objet petit a.

Donc cet objet qui se balade sur cette bande, parfois interne, parfois externe, représente cette chose qui y est, et qui n’y est pas, qui est partout et qui est nulle part. Cela afin d’illustrer notre humble condition d’être, notre subjectivité en tant qu’être de la parole et du langage

Être, parlêtre approchant ainsi par la parole cette question de l’amour.

Alors, trouver enfin un peu d’amour, je reviens là-dessus. Il s’agit donc de trouver un objet aimé qui sera capable de se substituer à cet objet perdu. Et cet objet aimé va constituer un objet enfin trouvé, retrouvé, un objet d’amour bien que initialement c’est de l’objet perdu pour toujours et donc de celui qui anime notre désir et qui du coup nous fait courir, c’est de celui-là qu’il devrait s’agir.

Alors j’ose dire qu’il n’y a donc pas de rapport entre désir et amour. Voilà. C’est le réel de la rencontre d’un être amoureux avec un être désirant qui fait que ça rate. Et c’est ça le trou-matisme et Lacan l’écrit bien sûr trou-matisme. C’est ça. Un leurre. Un leurre, cette trouvaille, ce trou-vaille. La trouvaille du troubadour. Le troubadour, le trouveur, celui qui trouve la chanson, qui nous chante, la composition, le musicien, l’inventeur de nos existences.

Mais ce n’est pas fini. Parce que aimer c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas, disait Lacan. Alors, effectivement, qu’est-ce que c’est ça ?

Qu’est-ce que cette chose qui nous échappe : donner ce qu’on n’a pas, ce trou qui nous constitue, ce qu’on n’a pas. Et qui est la seule chose que nous puissions pourtant offrir.

« Aimer c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »

Ce qu’on n’a pas… bon. Ce qu’on peut offrir à celui dont on sait qu’il sera horrifié si seulement l’autre, l’aimé, savait que, ce que je veux lui donner, je ne l’ai pas. Et en plus je ne le suis pas.

Enfin, voilà, voyez. Quand finalement Lacan va conclure que c’est autour de cette assomption subjective entre être et avoir que joue la réalité de la castration, alors là nous sommes définitivement désillusionnés quant à l’amour parfait.

Être l’objet exquis, l‘avoir pour l’offrir à l’autre, voilà donc deux positions foncièrement différentes face à une rencontre, un impossible faire un à deux.

J’aime, tu m’aimes, ils s’aiment, ils m’aiment tous. Le verbe donne donc corps à l’objet aimé, à la chose elle-même et représentée par une infinitude de choses nommables mais qui en fin de compte indiquent rien d’autre que justement cette place centrale du vide : un manque. La réalité de la castration.

Ce vide fait partie d’un ensemble parce qu’il est compté en tant que zéro. Et cet ensemble, c’est ce qu’on appelle l’ensemble des nombres naturels où le zéro précède la suite des nombres qui suivent.

Ainsi se constitue une chaîne de nombres à l’infini, aleph comme le définit Cantor, l’infini. Et cet ensemble forme un espace, un topos, la topologie. Un espace fondé sur le premier qui est le zéro. Le vide initial. Et c’est donc ce zéro qui est le premier nombre de l’ensemble. Il y a du zéro et puis il y a de l’un, deux, trois et tous les autres.

Donc au début c’est pas le un, une seule et unique position qui domine sur toutes les autres, mais c’est le creux, le creux de la fondation. La suite de tous les autres, de toutes les choses infiniment nombreuses, en clinique, cette suite on l’appelle nous, la sublimation.

Alors, parce que cet objet premier, zéro, est inatteignable, c’est un autre qui va entrer en jeu, en ligne de mire, et attirer notre regard. Regardez, c’est le bouquet de fleurs.

C’est donc d’abord un autre et puis un autre et un autre. Ça peut être une infinitude de possibles, de possibilités, une infinitude de dires, d’écrire cette chose avec cette métaphore : « L’amour est un caillou riant dans le soleil ».

Donc dans chaque histoire d’amour, bien évidemment, nous risquons le heurt, nous risquons la rencontre avec cet impossible, le mur, une chute, une déception qui fait écho à cette condition inébranlable de l’espèce humaine : au langage, avec sa structure qui est articulation, mot à mot, d’un signifiant à l’autre. Et entre les deux un espace qui se désigne comme un blanc. C’est l’espace vide de la coupure. C’est du rien. Et qui n’est pas du rien, un rien ambigu…celui du lieu même de l’inconscient chez Freud. Un lieu qui est marqué par un interdit, ce qui est entre le dire : un inter-dit, le refoulement.

De notre rapport à ce lien dépend toute notre subjectivité. Aucun des mots de notre langage, aucun signifiant n’a de signification à lui tout seul. Il lui faut un autre. Il lui faut un lien pour que la signification s’y déplie. Comme dans la parole où il faut un locuteur et puis il faut un autre qui la reçoit, cette parole. L’un et l’autre signifiant, ou celui qui parle et l’autre qui écoute ne se trouvent pas à la même place.

Ce qui du coup introduit une dissymétrie, une faille. Et donc c’est toujours à partir de cette faille qui est, comme j’essaye de vous le dire, d’abord pur produit du langage, que le désir s’organise. A partir de cet objet qui est dans cette faille. Enfin en tout cas, on va le dire comme ça. C’est parce qu’il y a de la perte dans la faille, parce qu’il y a le système langagier qui n’est pas fermé, qui n’est jamais complet, jamais terminé, je pourrais vous dire les mêmes choses autrement, il y a donc toujours une autre manière de dire les choses. Mais chaque approche est malgré tout toujours ratée un peu, parfois plus, c’est comme ça.

Et la faille induit l’erreur bien sûr, comme la mauvaise interprétation ou l’interprétation tout court. Mais aussi la feinte. Il n’y a pas de mot qui puisse combler la chose. Tout n’entre pas dans les mots. Il y a toujours un interdit avec ça, il y a toujours ce lieu qui est celui de l’inconscient, celui de l’objet perdu. Mais qui est aussi le lieu Autre, donc le lieu de recel de cet objet perdu que Lacan nomme également le Nom du père.

Un espace vide et qui compte zéro à l’origine de toutes les possibles et impossibles rencontres de l’infinie grandeur de notre désir humain.

Dès lors nos histoires singulières consistent en l’art et la manière de s’organiser par rapport à ce vide qui nous gouverne. Mais qu’est-ce qu’il me veut ce vide en moi, cet Autre de mon existence ? Comment puis-je apaiser cette foncière insatisfaction qui l’habite, qui m’habite ? Comment le satisfaire ? Puis-je faire Un avec lui ? Moi ? Et si l’Autre, cet espace-là dont on parle était incorporé ? Si, dans l’Autre, il y avait quelqu’UN ?

Ainsi Lacan introduit dans le séminaire « L’Ethique de la psychanalyse » la passion amoureuse, c’est-à-dire cette relation à cet objet, dont nous venons d’aborder la complexité. Un objet inconnu, incorporé par défaut par la dame, qui du coup reçoit une valeur inestimée. Elle est surinvestie nous dit Lacan (Überschätzt), et prend une certaine signification … voilà, la sublimation. L’amour pour un objet incorporé.

Et là, les chansons défilent. Le Minnesänger du Moyen-Âge allemand, le troubadour chante la chanson d’amour, l’amour courtois, dans l’espoir de la séduire, la Dame car il sait que l’issue peut être fatale pour peu que le héros cède à son désir. C’est ce même objet qui est visé. Et si le désir peut être cru et rencontrer des contestations aussi bien chez une femme que chez un homme, la sublimation en est une fine déviation. Et enfin c’est l’amour entrant sur scène, un échange entre l’un et l’autre, un don réciproque.

Le séminaire qui suit celui de l’Éthique, c’est « Le transfert dans sa disparité subjective, sa prétendue situation et ses excursions techniques ». Voilà le titre. Alors Lacan aborde l’importance de l’amour dans la clinique psychanalytique. Car l’amour c’est le transfert.

Le transfert en allemand, Philippe m’a demandé de le dire, ça se dit Übertragung. Cela veut dire d’abord être porté au-delà, et donc de passer au-delà de l’Un à l’Autre … écrivons-le grand : de l’Un à l’Autre. Le sujet phallique, muni de son histoire et de ses particularités rencontre l’Autre avide de savoir. A-vide. Nous sommes en plein dans l’amour. L’amour de l’Autre en tant qu’il est supposé porteur du Un, du savoir plein. Son désir, le désir de l’Autre, l’analyste dans un premier temps du moins, sera celui de l’analysant tourmenté par la question : « Qu’est-ce qu’il attend de moi ? Que puis-je pour lui ? Qu’est-ce qu’il veut entendre, qu’est-ce que je dois lui dire ? »

Mais l’Autre n’est pas un objet, il n’est pas l’objet du désir de l’analysant car il est lui-même désirant. Et ce désir qu’il a, lui, pour l’autre, son analysant, est déterminant dans la cure.

Si le transfert, est donc un amour qui supplée à ce manque fondamental qui nous gouverne et détermine nos rapports interhumains, c’est bien par une résolution du transfert que passe le chemin de l’analysant. Car l’éthique de la psychanalyse, ce n’est pas l’éthique de l’amour mais, c’est l’éthique du désir !

Dans le banquet de Platon, qui est largement étudié dans le séminaire sur le transfert, Alcibiade s’approche de Socrate et tente de le séduire … pour ravir son désir. Il prend la métaphore de la petite boîte en forme de Silène qui contient en son sein un objet précieux, justement un caillou, agalma. C’est cela la richesse de Socrate, son désir. Mais ce désir, « ça ne s’attrape pas comme ça, … puisque le désir, comme on le souligne, c’est le manque » (Lacan).

Et Socrate répond dans un geste de retournement de la demande qui lui est adressée, signant ainsi son refus.

« L’amour c’est ce qui, partout où il y a du 2, fait office de frontière, de milieu, d’intermédiaire, c’est-à-dire d’interprétant. » voilà la voix de Diotime s’adressant à Socrate en introduisant subtilement la notion de folie (mantike) afin de reprendre « l’amour en aucun cas ne saurait être beau parce que ce qui se pose comme objet de l’amour, ce qui comme série… », elle mentionne les séries, « …tombe sous le coup de l’amour, l’amour étant comme une marque qui fait défiler, qui instaure une espèce de couloir où une série d’objets va passer, », c’est fou ça comme truc, « les objets qu’il a marqués, l’amour ne peut pas être beau parce que ses objets sont beaux, et il est dit qu’en aucun cas ce qui est l’agent d’une série, l’instance même de la série ou le terme ultime de série, ce qui chapeaute une série, ne peut avoir les mêmes caractères que les objets qui sont dans cette sériation ; c’est-à-dire que les objets de l’amour sont beaux, l’amour ne peut pas être beau ». 

Voilà ce que dit Diotime. Je trouve que c’est une magnifique parole pour parler de sublimation, voilà.

On n’habite pas le manque. Le manque, lui par contre, peut habiter quelque part en nous et prendre la valeur d’un…de l’objet inconnu.

 « Cet objet du désir de l’Autre est là, caché au cœur de l’objet a » nous dit Lacan. Et quant au Banquet il ajoute : « Celui qui sait ouvrir, avec une paire de ciseaux, l’objet a de la bonne façon, celui-là est le maître du désir. Et c’est ce qu’avec Alcibiade Socrate fait en moins de deux en lui disant : «Regarde, non pas ce que je désire, mais ce que tu désires, et te le montrant je le désire avec toi, c’est cet imbécile d’Agathon». ».

 L’objet ainsi nommé : Agathon ainsi désigné devient objet d’amour d’Alcibiade. Cet amour l’emportera-t-il sur le désir ? Sur le désir d’un sujet qui court, non pas dans l’univers de toutes les jouissances mais vers le Rien … encore et encore …à la recherche d’une… ? …

Lacan nous répond :…une lettre.

Parce que c’est bien avec une reprise du texte de Edgar Allan Poe : « Le purloined letter », « La lettre volée » qu’il va ouvrir ses écrits. Non pas avec une paire de ciseaux mais avec ce texte-là, une lettre adressée à la reine qui circule de mains en mains. Personne ne sait ni son contenu ni le lieu de sa présence. C’est la lettre qui cause le désir.

Les lettres autour desquelles ça va tourner, il va les nommer. RSI. Trois lettres avec lesquelles Lacan poursuit ses séminaires. R pour le réel, S pour le symbolique et I pour l’imaginaire. Trois lettres pour ces trois instances psychiques. R S I. Bien sûr, c’est une écriture aussi. C’est l’écriture des champs de nos amours. Mais aussi de notre désir et de nos jouissances.

Un rond de ficelle est le Réel en tant que rencontre avec l’impossible, un rond de ficelle est le Symbolique, représentant du désir, un rond de ficelle est l’Imaginaire d’un amour parfait. Le tout est du Réel. Car le réel est ce qui fait trois ! Donc Lacan introduit la question du tiers à partir de ce qui chez Freud est une vision un peu occulte parce que Freud parle d’un côté du roc de la castration et de l’autre du continent noir. Chez lui, ces deux pôles sont opposés, séparés à jamais. . Et Lacan, là où Freud bute, pose cette écriture de l’impossible, l’impossible rapport sexuel.

« Il n’y a pas de rapport sexuel » dit-il. Autrement dit, entre un homme et une femme il suffit de peu, c’est-à-dire de couper une seule des trois cordes qui sont nouées de manière borroméenne, pour que les trois se séparent. Vous connaissez les cordes borroméennes. J’en avais fait hier soir, c’est assez simple : vous prenez trois ronds et vous ne les fermez pas. Vous prenez deux fermés et le troisième il est ouvert. Et le troisième tisse. Et c’est là tout l’intérêt, celui qui tisse c’est le moyen. Et vous allez voir, c’est important avec lequel vous allez tisser. Dans un premier temps ils ne sont pas nommés. Vous passez dessus-dessous, dessus-dessous, dessus-dessous et ça finit par devenir parfaitement, et très bien, et assez vite, un nœud borroméen correct. Donc en plus il était tridimensionnel. Il est resté chez Philippe. Donc ça c’est le nœud borroméen. Il est facile à faire. Et c’est vrai, vous coupez un des trois ronds et tout se dissout, voilà. C’est la condition du nœud borroméen.

Il n’y a donc pas deux. On ne peut avoir homme et femme, ensemble, sans tiers référence. C’est le tiers qui fait la possibilité de la rencontre. Mais s’il y en a un qui rompt les trois se séparent. Donc pas deux sans trois. Sans ce tiers, ce référent, sans cet élément perturbateur – qui ne cesse de perturber nos amours, bien sûr – rien.

Alors comment noue-t-on ces trois consistances ? Par quel moyen ? Parce qu’une fois qu’on a ce nœud, on n’est pas obligé d’y mettre des couleurs, mais quand on n’y met pas des couleurs on les a pas nommés, et dès qu’on les nomme et bien voilà, ça devient plus compliqué.

Si on noue le Réel et l’Imaginaire avec le Symbolique comme moyen, vous connaissez ça, c’est dans « Les non dupes errent », c’est dans ce séminaire dans les premières pages, si on noue le réel et l’imaginaire avec le symbolique comme moyen, et bien nous voilà avec le symbolique dans l’amour divin.

C’est la place du désir qui sera ainsi déviée, qui est poussée ailleurs et en temps qu’amour ces deux choses ne peuvent se dire qu’à supporter le réel d’une part, et le Réel, dit Lacan, c’est la mort et l’imaginaire de l’autre, c’est le corps. Donc il introduit cette question de la Trinité : le Père mort, le Fils et le Saint-Esprit qui œuvrent. Voilà le moyen, le symbolique.

Supposons maintenant que l’Imaginaire soit le moyen et qu’il noue le Réel, la mort, avec le Symbolique qui supporte la jouissance. Eh bien c’est là le vrai fondement de l’amour nous dit Lacan. C’est ce qu’il y a dans l’amour courtois. Et c’est ce qui, chez Platon, reste encore suspendu à l’imaginaire du beau.

Prenons enfin le Réel comme moyen. Si ce Réel est la mort, là d’où le désir est chassé, ce que nous trouvons, c’est le masochisme. – voyez, on revient à Belle du Seigneur.

Le masochisme unissant jouissance et corps, l’emploi comme moyen de cette perversion est ce qui les attache nous enseigne Lacan. L’amour est le rapport du Réel au Savoir.  

Voilà comment il aborde cette question-là des différences des amours et de nos amours dans une histoire de nouages, comment on noue notre nœud chacun à nous.

Alors voilà, on est assez loin dans les séminaires  de Lacan, on est avec « R S I. » et à partir de là, avec « Le sinthome », il va travailler un savoir-faire avec un quatrième qu’il appelle le symptôme – ce qui concerne l’amour sur tous les plans et particulièrement celui du rapport au sein des couples, car le symptôme enfin, c’est aussi ce non-rapport bien évidemment. Et de là il va filer à un séminaire qu’il appelle – voyez comme l’amour ça le travaille, l’amour et le désir – il file à un séminaire qu’il appelle : « L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre ».

Alors quand même ! Un succès de l’inconscient, c’est l’amour.

Et en l’occurrence bien sûr aussi la haine du sujet pour et en rapport avec son symptôme.

Ce symptôme évidemment est ancré côté amour. D’abord amour pour le père aimé, puis pour le père haï et humilié, incarnation imaginaire du lieu de l’Autre, symptôme, un quatrième rond.

Le symptôme, nous dit Lacan, est ce qui se produit dans le champ du Réel.

 Ce Réel étant le nœud à trois et le nœud à quatre. C’est le signe de quelque chose qui ne va pas dans ce Réel.

 Que devons-nous entendre quand Lacan dit qu’il y a de l’amour que de l’identification portant sur ce quatrième terme, à savoir du nom-du-père ? (RSI)

 Et si de ce nom du père il s’agissait de s’en servir ? Et comment ?

La réponse, elle se trouve dans notre discours, dans l’instance sur laquelle porte notre discours. Car, parler amour à partir d’une place de maître ce n’est pas parler amour de manière universitaire. Ni d’ailleurs avec la revendication hystérique. Et donc la question finale reste intacte.

Y a-t-il un lieu qui nous assure un amour digne de nos attentes ?

Supposons qu’il y en ait un. Qu’est-ce qu’il devient dans notre société aujourd’hui ?

Et je finirai donc, du coup, par inviter l’Autre qui n’est donc ni un étranger ni un dangereux intrus, mais qui est le tiers, l’altérité, à participer à la fête, à la fête de l’amour aujourd’hui.

Merci.

– Merci infiniment Patricia pour cet excellent travail. Tu nous combles ce soir, et c’est passionnant de te suivre. Et puis, il pourrait y avoir avec tout ce que nous apprend la psychanalyse dans cette question de l’amour un côté désespéré et désespérant, mais pas du tout. Ça file, ça fuit, ça court.

Patricia Le Coat Kreissig – Il y a un côté où l’on entend que bien sûr l’amour c’est jamais le bonheur absolu effectivement. Cette phrase que tu as incitée tout de suite et tu as raison c’est-à-dire que quand même, il n’y a pas de rapport sexuel, cette phrase si mal entendue que Lacan a lancée et qui circule comme ça dans les rues comme si Lacan n’était pas compréhensible, elle le dit très clairement. Elle dit que pour peu qu’on est là à échanger un objet, qui est énigmatique, qu’on n’ a pas, voilà on ne l’a pas mais quand on fait tout pour donner ce qu’on peut donner en inventant au mieux notre vie avec quelqu’un, on risque bien évidemment de se heurter à ce mur qu’il appelle a-mur, où l’objet va se séparer du mur, où on se cogne dedans. Et que ce n’est pas possible autrement. La psychanalyse nous apprend à faire avec. Parce que ô combien les gens et bien très bien, parce que ce n’est pas possible, moi je m’en vais et je prends un autre. Sauf qu’avec l’autre ça va arriver aussi. Ça finit pas par se répéter dans nos vies. Et de ce dire à un moment donné ça vaut la peine que j’accepte un certain nombre de murs que je me prends, voilà, ça la psychanalyse, Lacan le dit à sa manière. Et il nous enseigne d’avoir la juste approche, je dirai ça comme ça, à ces questions-là.

– Je ne sais pas si l’un ou l’autre veut réagir aux propos de Patricia ce soir, apporter sa part ?

Patricia Le Coat Kreissig – Il y a quelqu’un qui a lu ou vu Belle du Seigneur ? J’ai lu des parties du texte Belle du Seigneur, c’est vraiment une très, très belle écriture. Mais c’est 800 pages. On ne peut pas tout faire. C’est 4 tomes. Et après je me suis dit maintenant tu vas regarder le film. C’est 2012. Effectivement on dit que le film est absolument raté parce qu’il ne peut pas refléter la beauté de l’œuvre. C’est vrai, je suis d’accord. Néanmoins ce sont des histoires mises sur scène, racontées, qui sont des histoires justes enfin et où il s’agit de bien savoir entendre quelque chose de notre difficulté humaine à s’investir. Cette histoire commune à la fois de l’identité, c’est quand même terrible à ce moment-là cet homme juif qui jette son passeport sans savoir ce qu’il fait. Mais il ne le jette pas, parce qu’il le jette pour se jeter dans un amour. C’est-à-dire il a échangé une identité contre une autre. C’est extrêmement saisissant tous ces vécus humains qui alimentent – c’est des cas cliniques – qui alimentent la psychanalyse. Je n’aime pas apporter des cas cliniques donc je fouille ailleurs : dans les films, dans les livres…

Marie Bernadette Créac’h – Ça fait vraiment très, très longtemps que j’ai lu ce livre de Cohen. Le souvenir que j’en garde, qui me revient ce soir, c’est la manière dont il parle, dont il fait parler la femme, Ariane, son attente. Son attente, ce qu’elle attend, ou qu’elle attend n’est-ce pas de ce qu’elle attend. Elle l’attend, elle attend Solal.

Patricia Le Coat Kreissig – Elle l’attend, oui, oui.

– Et je repensais aussi à qu’est-ce qu’on pourrait trouver à dire au fond de l’attente du côté féminin ? Je pense aussi avec l’histoire d’Ulysse par exemple. Et donc ce travail sans fin de Pénélope et de ce travail de tissage je crois.

– Très court, qu’elle détricote. C’est un tissage.

– Là aussi quelque chose de l’attente et de l’impossible au fond, là avec un autre enjeu puisqu’il il est dit qu’elle avait promis que quand elle aurait terminé son ouvrage alors elle arrêterait d’attendre Ulysse et elle pourrait se donner à…je ne sais plus, enfin à un autre. Et je me disais oui, il y a là quelque chose dans la vie d’une femme qui peut parler d’amour aussi. Comment elle attend, ce qu’elle attend, le temps qu’elle passe derrière une fenêtre ou à écouter un bruit, un retour, enfin des choses de ce type. Alors évidemment, d’un homme qui ne cesse pas de partir, de ne pas revenir, je trouve ça l’impossible au fond de ce rapport dont tu parlais autour de l’attente. Je ne sais pas si ça dit quelque chose à quelqu’un. Pour moi ce soir c’était ça.

– Absolument. Et tu te souviens dans le livre Solal lui il l’attend pas. Il a un tas de maîtresses. Et donc il passe chez ses maîtresses, ou bien il leur dit quand même qu’il ne peut plus être l’amant qu’il a été parce que là vraiment il a trouvé l’amour. Et donc, mais quand même, il passe quand même voir ses maîtresses un peu. Et il développe une jalousie tout à fait pathologique à son égard à elle parce que, mais enfin là c’est une histoire très compliquée, parce que elle lui avoue d’avoir eu une seule histoire avant lui quand elle était mariée. Et là le problème c’était un chef d’orchestre qui jouait Wagner. Donc, mon dieu ! Et là il devient fou là-dessus, sur cette histoire. Alors que lui on l’observe passer chez ses maîtresses, il n’attend pas.

– Ce n’est pas symétrique.

– Non, c’est pas symétrique justement, c’est ça. Ce ne sont pas les mêmes positions dans l’amour, absolument pas. Mais dans le désir non plus. Et cette position très différente côté amour dans le couple, c’est là que Lacan conclut qu’il n’y a pas de rapport sexuel, enfin il n’y a pas de rapport. On n’a pas les mêmes approches.

Paul Bothorel – Moi je suis un peu songeur avec tout ça, par rapport au monde qui nous entoure et ce que j’entends sur le divan. Avec un sexuel qui envahit de façon absolument démente. On évacue en plus justement la dimension de l’amour. Ce n’est même pas au programme.

– Mais oui, mais oui. Oui, oui.

– Et je suis frappé d’ailleurs, en dehors de cette allusion que tu as fait au rapport sexuel, tu as assez parlé du sexuel.

– Du désir j’ai parlé.

– Bien entendu, mais ce n’est peut-être pas tout à fait le même signifiant.

– J’ai toujours le repère moi du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley où on a du sexuel. Mais on a une évacuation.

– Oui, avec les batteries.

– Et on est dans un monde qui va vers là. Quand tu parles de ce rapport au Nom du père, qu’est-ce que c’est que le Nom du père actuellement? Ça peut se résumer à une formule d’ADN comme disait l’autre. Qu’est-ce qui nous reste ? Qu’est-ce qui nous permet de soutenir, si je puis dire, cette position amoureuse là ?

– Je suis d’accord avec toi. Entièrement d’accord. Il y a le Nom du père c’est-à-dire que quand même quelque chose qui fait histoire, qui nous ancre, qui nous donne une racine, qui fait qu’on a une idée d’où on vient et où on va. Il y a aujourd’hui des jeunes, ils ne savent même pas les noms ou les prénoms de leurs grands-parents. Non mais, pour quoi faire ?

– Pour rester sur le thème du sexuel : il y a quelques années nous avons eu une représentation à Saint-Brieuc du Banquet de Platon, une mise en scène absolument abominable qui ne m’a pas plu du tout. Et on faisait une discussion après les représentations et ça se termine, c’est hallucinant, ça se termine par une partouze sur scène, ils sont tous à poils. Et elle en a fait, c’était une femme, elle en a fait une ode à l’homosexualité. Et dans l’après coup je me suis rendu compte qu’elle avait réussi à évacuer la dimension de l’amour alors que c’est le fondement même si je puis dire. Donc, je crois qu’on peut avoir des représentations à partir d’un texte comme ça, aussi farouchement fantastique que cela, qui évoluent. Et j’ai trouvé que c’était une représentation extrêmement contemporaine, tu vois.

– Oui mais c’est vrai que cette histoire des couples je dirai même où évidemment il y a de l’amour, est devenue très difficile. Moi aussi je rencontre des jeunes, des jeunes femmes qui ont entre 30 et 40 ans et qui donc sautent de partenaire à partenaire surtout avec les sites bien évidemment. Donc très rapidement quand ça bute évidemment ça finit par criser : voilà, là j’en ai marre, et il est pantouflard et il fait ci et cela. Moi je ne veux plus voir cela, toujours la même chose. Et donc c’est la coupure, donc c’est la déprime, la solitude c’est insupportable. Et ce sont des gens extrêmement beaux, donc ils arrivent quand même à vite re-ancrer. Alors arrive 30 ans, la femme a 30-35 ans. Qu’est-ce qu’elle fait ? Alors elle va en Espagne congeler ses ovocytes. Comme ça, ça peut continuer à l’infini. Parce que avant le problème pour une femme était aussi qu’il fallait bien qu’elle consente à un moment donné à créer quelque chose. Sinon elle passait son temps, il y avait un âge en tout cas au moins pour une femme, il y avait un âge. Aujourd’hui non, c’est fini. Il n’y a plus de limite, il n’y a plus cet investissement en quelque chose où on donnait et on consentait à inventer autour des difficultés. C’est vrai. Mais c’est notre société qui permet de faire fi à tout ça. Je trouve ça aussi assez redoutable. Et on ne sait pas ce que vont devenir tous ces ovocytes et ces spermatozoïdes congelés de partout. C’est vrai.

– Moi je dirai que ce qui me frappe c’est l’évacuation de la dimension de l’altérité. C’est ça qui est frappant dans les discours, en particulier et comment ils se rassurent quand ils rencontrent quelqu’un qui soit bien sûr du même : on aime les mêmes choses, on a les mêmes goûts. Sauf là et là. Ils anticipent bien les points de friction ponctuels. Mais il faut être sur du même et il faut l’expérience aussi que ça ne marche pas.– C’est ça aussi le narcissisme : m’aime, m apostrophe aime. Mais c’est sûr, oui. C’est des amours narcissiques pour notre société. Et la dimension de l’altérité bien évidemment, c’est toute la question de l’inconscient. J’avais une fois un patient qui m’a dit : Mais vous y croyez, vous, à l’inconscient ? Qu’est-ce que vous voulez répondre ? C’est pas mal ! Faut y croire.

– Il faut dire c’est un acte de foi. Je suis dans l’agapé.

– J’ai noté tout à l’heure la résolution du transfert. Belle du Seigneur pour moi c’est très loin. Mais il y a un film qui est passé au moment des fêtes, un film de Charlie Chaplin, je crois que le titre c’est Lumières sur la ville.

– Lumières dans la ville.

– Et je trouve que la fin du film on pourrait pratiquement la transférer sur… peut-être ce pourrait être une fin d’analyse. C’est-à-dire, je vous résume l’histoire brièvement : il y a un passage au moins où tout à coup, c’est absolument magnifique chez Chaplin, où une jeune aveugle, vendeuse de fleurs, prend un clochard pour un richissime homme d’affaires. Ce type se prend d’une espèce de pitié pour cette femme aveugle et trouve par un ajout de circonstance, de l’argent pour le lui remettre pour qu’elle se fasse opérer des yeux. C’est toute l’histoire je suppose. A la fin du film il sort de prison parce que bref, un tas de choses. Et elle, elle attend, puisqu’elle ne le voyait pas, elle n’a que le son, c’est d’ailleurs pratiquement le seul son qu’il y a dans le film, le son de claquement de la porte d’une voiture, une belle voiture. Mais Chaplin il a pour se dérober aux différents flics qui lui couraient après, passé de voiture en voiture dans la rue. Donc il a claqué les portes. Et elle l’a pris, Chaplin, pour un homme qui sortait d’une voiture magnifique. Et donc, elle attend un homme riche. A chaque fois dans son magasin qu’il y a un homme qui vient chercher des fleurs dans une voiture, elle ne peut se repérer qu’au son. Et donc elle s’attend à ce que ce soit son bienfaiteur. Et un jour, elle croise un clochard devant son magasin et elle va lui offrir une fleur. Et en le touchant, elle s’aperçoit que c’est lui son bienfaiteur. Et le film se termine là-dessus. Elle lui dit : est-ce vous ? Et il répond : Oui, maintenant vous voyez. Et comme si finalement l’altérité là était totale. Et en plus il y a finalement, faire voir le point de réel, me semble-t-il. Et peut-être que la fin de l’analyse c’est pas obligatoirement la mienne parce qu’on ne sait pas du tout ce qui va se passer après si vous voulez, à la Saint Valentin ou pas. Rien n’est dit. Ça se termine là-dessus, sur cette phrase-là. Et peut-être que c’est ça aussi quelque chose de la fin de l’analyse, c’est-à-dire pointer un point de réel au-delà duquel on ne peut pas aller plus loin. Peut-être que c’est là que se joue finalement la fin du transfert, l’analyse, du transfert. Si analyse du transfert il y a, le transfert il s’achève là quand il est vraiment analysé.

– Tout à fait, je suis tout à fait d’accord avec ça. Avec cet appui pris sur cette expérience d’un réel ou quelque chose comme ça. Ce qui revient à dire que c’est ça que la psychanalyse nous enseigne, de dire qu’on a à faire avec le réel. Mais le réel c’est aussi ce que Freud avait introduit avec, il faut quand même le dire que c’est relativement maladroit, le mot inconscient. C’est pas un très joli mot, mais voilà, il savait pas faire autrement que le dire, un truc Unbewußt, un inconscient, c’est-à-dire dont on n’est pas conscient. Mais c’est ça, là. Et c’est vrai que notre société elle est assez, elle n’est pas très pour l’inconscient, hein ? Il faut savoir, il faut être conscient des choses.

– Ce qui n’enlève rien à la condition du parlêtre.

– Je trouve que le langage ne s’améliore pas non plus. Il y a des fois, quand j’écoute les jeunes par exemple à un abri de bus, ou même en Allemagne, je ne comprends plus rien de ce qui se raconte. C’est des abréviations qui se suivent, moi je ne les connais plus. Et un langage très rudimentaire avec des petits sigles. C’est mort quoi ! Je trouve qu’il y a quand même un risque sur une diminution du savoir parler.

– Oui, mais il y a beaucoup d’analystes qui pointent ça. Il y a, je n’ai pas son prénom, Hiltenbrand , Jean-Paul, qui vient de publier un livre d’ailleurs qui s’appelle : La condition du parlêtre. Et il pointe ça. Je ne l’ai lu, j’ai pas parcouru, et qui pointe ça et il parle lui de cataclysme. Il y va fort. Il dit que le langage, il a une expression très, très pessimiste, ça devient un bavardage ou l’humanité va vers un bavardage niais, voilà, tout est dit. Mais je ne sais pas, moi je me dis la langue a toujours changé, la langue a toujours évolué. Et puis une génération a toujours dit : Oh, là, là, ces jeunes comme ils parlent, on ne comprend pas. Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose de nouveau dans cette nouvelle façon de parler ? Ou bien, est-ce que c’est un nouveau cycle et qu’est-ce qui fait qu’on n’accepte pas ce tour de roue supplémentaire ? Je me pose vraiment la question.

– On va revenir à la guerre du feu, tu ne crois pas ? Tu ne crois pas qu’on est un petit peu obsédés avec ça ?

– Qu’est-ce qui fait que dans le langage on ne transmet plus, je veux dire dans notre façon de s’annoncer, dans l’adresse il n’y a plus cette dimension de l’altérité ? Enfin, ça vient du langage, ça ne vient pas d’ailleurs.

– Alors quelqu’un m’a dit récemment et c’est très juste, que les jeunes ne se sont jamais autant parlé que actuellement. Oui, oui, oui, oui, oui. Oui parce que dans la phrase était sous-entendu par SMS. Ce qui est juste. Jamais ils ont tant communiqué qu’aujourd’hui. Ah, ça c’est vrai ! Mais voilà, la communication par SMS et le langage risqué, parce qu’on se risque un peu oralement, parce que aussi par SMS, bon, je dis très vite, ça écrit une bêtise, je dis derrière, excuse-moi, mon truc écrit des bêtises parce que je dicte. Mais quand je le dis, je peux dire des bêtises mais c’est des lapsus qui se mettent là-dedans, ça dévoile des choses de moi. Eh bien, je suis autrement concerné(e) quand même que par un SMS, n’est-ce pas ? Je crois que le langage écrit SMS n’est pas un langage qui justement valorise l’espace autre comme on dit, c’est-à-dire l’altérité. Je ne crois pas.

– Pourtant aujourd’hui, il y en a eu un certain nombre je pense, de SMS d’amour.

– Mais ça pose pas le problème de l’adaptation çà, est ce qu’on ne doit pas s’adapter ? L’époque change, les techniques changent, le langage change. Est-ce qu’on doit rester dans le passé, avec les outils du passé,  ou est-ce qu’on doit prendre les outils modernes, est-ce qu’on doit y aller ? Est-ce qu’on n’y est pas tous appelés à un moment, vieux ?

– Oui, il y a toujours eu comme ça des changements, c’est vrai. Et les changements laissent des pensées de côté, et favorisent d’autres. Ça c’est sûr. Où on va ? Le fameux film, Her, qui est un film sur … C’est un robot qui a tout d’un humain. Mais enfin, bon. Et c’est un humain qui tombe amoureux dans ce robot. Il est sorti il y a 5, 6 ans. Il faudrait le revoir. Ça donne,… vous l’avez vu ? Moi je m’étais dit, je vais le revoir. Mais là je… Vous pouvez en parler, c’est particulier ce truc là ?

– On finit quasiment par croire que c’est possible en fait. En tout cas, c’est troublant.

– Oui, c’est troublant. Mais néanmoins c’est en même temps ça fait un petit peu peur, parce que justement on se dit que ça peut arriver. Parce que c’est de l’ordre du leurre, quand même, là on est leurré. Il n’y a pas de subjectivité. Et pourtant, elle est imitée. Où y va, où y va ?

– En fait, c’est très, très élaboré parce que dans le film c’est pas tout à fait un robot, c’est un programme informatique en plus. Et ça marche selon le même principe que l’intelligence artificielle, c’est-à-dire que le programme, au fur et à mesure des adresses formulées par l’utilisateur, et bien il va s’ajuster. Et donc, il va s’adapter de plus en plus à la demande, il va venir s’ajuster, s’emboîter, combler de plus en plus la demande. Il y a là un effet comme ça de colmatage complet et on pourrait penser que, enfin moi j’aurais pensé que ce héros serait tout à fait déprimé quand même au bout d’un moment, d’être comblé comme ça, sans femme. Et non, il va très bien.

– Mais c’est vrai, c’est l’intelligence artificielle avec les programmes là, je ne sais plus, on en est à la 4è génération ou un truc comme ça, les programmes qui auto apprennent. Et le gros problème c’est que, la question est posée sérieusement chez les informaticiens, si les prix Nobel dans les années à venir c’est pas aux intelligences artificielles qu’ils vont revenir. Ça veut dire que…

– Ce robot, il apprend même à être désirant si j’ai bien compris.

– Il va très, très loin, oui.

– Enfin, lui il a un programme d’apprentissage du désir !

Il y a quelque chose de narcissique en fait aussi dans cette relation. Il s’identifie, je veux dire, la codification informatique, l’intelligence artificielle évidemment lui, on parlait du codage tout à l’heure, là c’est le même en fait. Évidemment, dans une satisfaction immédiate et incessante. Parce qu’effectivement il y a toujours la réponse, toujours le collage en permanence.

– Et elle est toujours sympathique…

– … mignon comme tout, c’est l’imitation.

– Elle le rassure, elle lui parle gentiment, doucement…

– C’est parfait comme truc, c’est vraiment parfait.

– Il ne s’en lasse pas, il ne la quitte pas.

– C’est pas bien différent de ce que vous évoquiez tout à l’heure avec vos patients. La seule différence c’est que là de toute façon il ne peut pas se prendre un mur avec l’intelligence artificielle. Parce que le mur il est toujours repoussé.

– Voilà, c’est la solution moderne du fait que le soi-disant non rapport n’existe plus.

– Je ne sais pas si ça peut durer ou si ça ne finira pas par une haine, non ?

– le film ne montre pas ça.

– Non, non, non…

– Il y a quand même un problème dans cette affaire. C’est le sexe justement. Il y a un moment quand même ou, alors je ne me souviens plus de comment c’est articulé ça, parce qu’il y a un moment quand même ou le héros il aimerait bien avoir un rapport sexuel avec cette chose-là, pour la nommer. Et je ne me souviens plus ce qui est mis en place dans la fiction pour palier ça ou pour le contourner. Parce que moi je m’interrogeais à la suite à votre exposé, en effet quand même, ce qui est difficile à articuler c’est la question de l’amour avec celle du désir, comment ça se noue. Et le film donne une réponse ou pose le problème, je ne sais plus. Ce serait intéressant de reprendre ça. Parce que c’est ça qui va venir entamer.

– C’est pourquoi je voulais le re-regarder.

– Moi je me souviens que la question se pose, mais c’est drôle je ne me souviens pas du tout des moyens que trouve le réalisateur pour la contourner.

– Ça se finit en tout cas par un [… ?…] avec l’ordinateur. Et l’ordinateur est là et fait partie du cercle …Ça se termine là-dessus, elle prend une place…

– C’est pas pire que d’avoir un caniche, hein !